L’article paru dans PNAS en  mai 2020 intitulé  » Turning the body into a clock: accurate timing is facilitated by simple stereotyped interactions with the environment » de M. Safaie et collaborateurs a fait l’objet d’un communiqué par la revue de vulgarisation Sciences & Avenir

S&A illustration

CHEZ LES ANIMAUX, L’HORLOGE INTERNE SERAIT BASEE SUR LE MOUVEMENT

par Camille Gaubert

La notion du temps chez les animaux n’est pas liée à une « horloge interne » neuronale et 100% internalisée. Elle est en réalité liée aux actions et mouvements réalisés, eux mêmes basés sur les repères temporels offerts par l’environnement, d’après de nouveaux travaux français sur le rat. Les personnes atteintes de la maladie de Parkinson, aux mouvements altérés, ont souvent une distorsion de la perception du temps. « Métro, boulot, dodo », ou « les dents, pipi, au lit », décrit-on souvent nos journées ou soirées. Les séquences d’actions seraient en effet intimement lié à notre perception du temps, plus que sur une théorique horloge interne, d’après des travaux de l’Inserm sur le rat, publiés dans PNAS.

Des comportements stéréotypés pour marquer le temps

Les animaux possèdent une notion du temps qui leur permet notamment de s’attendre à un événement régulier. D’où vient cette capacité ? Pour les scientifiques, deux options sont envisagées : soit nous possédons une horloge interne en tâche de fond dans notre cerveau, soit cette horloge repose sur les actions et mouvements que nous mettons en place. Cette dernière hypothèse a les faveurs de l’équipe Inserm de l’Institut de neurobiologie de la méditerrannée (Inmed) de Marseille. « La relation étroite entre le corps et le cerveau est particulièrement pertinente pour la question du temps, car l’Homme fait preuve d’une faible précision de jugement temporel lorsqu’il est empêché de compter secrètement ou ouvertement, et plusieurs études ont rapporté que les mouvements améliorent la perception des intervalles récurrents », précisent les chercheurs dans la publication. De même, les animaux restent rarement immobiles pendant les intervalles de temps et « ont tendance à adopter des comportements stéréotypés », continuent-ils, « ce qui soulève la possibilité que les routines motrices améliorent la précision du temps ».

80% des rats qui chronométraient précisément avaient la même stratégie motrice

Pour le vérifier, une boisson sucrée a été proposée toutes les sept secondes à des rats, à l’extrémité d’un tapis roulant de 90 cm de long et qui allait à rebours à une vitesse modulable. Un rayon infrarouge en bout de tapis permettait de détecter l’arrivée du rat et, si le chronométrage était bon, de délivrer la goutte sucrée. Au bout d’une quinzaine de sessions, les rats ont réussi à arriver au bon moment, ni trop tôt ni trop tard, pour recevoir la récompense. Les chercheurs observent alors qu’environ 80% des rats qui réussissent le mieux sont ceux qui ont développé une routine « attente et course ». Ces rats débutaient chaque expérience dans la zone de récompense, puis attendaient que le tapis les ramènent en bout de parcours, avant de courir de façon constante vers la récompense.

En modifiant la vitesse du tapis, les rats échouaient à nouveau majoritairement à atteindre la récompense au bon moment. D’autres rats entraînés à partir d’un tapis fixe, avec juste une lumière annonçant le début du décompte, avaient également du mal à atteindre la récompense au bon moment. Cela suggère que « la possibilité d’effectuer une séquence motrice stéréotypée adaptée aux caractéristiques saillantes de l’environnement (ici, en tirant parti de la longueur totale du tapis roulant et de ses limites physiques) améliore la précision temporelle », observent les chercheurs. En d’autres termes, les rats étaient moins précis lorsqu’ils étaient contraints de chronométrer leur approche de la récompense indépendamment de leurs mouvements sur le tapis roulant.

Utiliser son environnement pour évaluer le temps

« Cette expérience indique que la notion du temps ne dépend pas d’une horloge interne qui aurait permis à l’animal de savoir qu’il fallait attendre sept secondes entre deux récompenses, mais bien de la mise en place d’une routine fondée sur l’activité physique. Celle-ci dépend à la fois de la capacité de l’animal à apprendre, mais aussi de l’acquisition de mouvements dépendants de l’environnement. L’animal utilise le tapis, les murs, pour adapter ses gestes et développer cette routine », explique dans un communiqué David Robbe, qui a dirigé ces travaux.
Les humains aussi mettent également en place des routines « qui permettent de rythmer les journées et aident à évaluer l’heure », continue-t-il. La perte de ces routines pendant le confinement « a d’ailleurs dû bouleverser la notion du temps chez beaucoup d’individus ». Il fait finalement observer que « les personnes atteintes de la maladie de Parkinson ont souvent une distorsion de la perception du temps ».
Le besoin de s’appuyer sur l’environnement externe pour affuter la notion du temps se tient du point de vue évolutif. Dans leur environnement naturel, les objectifs des animaux (se nourrir, se reproduire…) nécessitent d’interagir avec le monde afin de l’explorer et en tirer le meilleur parti. Si chez les humains certains pensent pouvoir se repérer précisément dans le temps sans bouger, on ne peut pas exclure la possibilité que l’organisme effectue « des micro-mouvements réguliers non perceptibles et inconscients comme des contractions musculaires pour mieux l’évaluer », évoque David Robbe. « Un enfant qui compte lors d’un jeu va, par exemple, balancer son corps ou son bras pour s’aider. Chez l’Homme, la notion du temps pourrait donc aussi être une affaire de mouvement. »

Partager l'article